Aller au contenu

Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/51

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
41
CHAMBRES RÉUNIES


aussi la crainte de Labori, que Dupuy poursuivrait « le plein effet de la loi de dessaisissement » et que les Chambres réunies déclareraient « juridiquement » qu’il n’y avait pas de fait nouveau[1]. Il m’écrivit : « Je crois bien qu’ils vont commettre l’abominable crime jusqu’au bout. C’est, chez moi, de la stupeur. Comment une grande nation va-t-elle vivre, devant tous les autres peuples, avec ce forfait avoué, étalé en plein soleil ? Je suis triste à mourir, mon cher ami, comme si nous avions tous perdu l’être cher[2]. » Et plus il se trompait dans ses prévisions, plus grande et plus touchante fut sa noblesse à se déclarer prêt à revenir au premier appel, non pas pour partager la victoire, mais pour s’offrir à de nouveaux coups. Déjà, à plusieurs reprises, il avait voulu rentrer, n’y tenant plus, « tomber à Paris, un beau soir, sans prévenir personne, contre tous les conseils des amis[3] ».

    Londres, où Mme Zola le rejoignit. Il y reçut la visite de quelques amis, Desmoulin, Bruneau, Georges Charpentier, Yves Guyot, Fasquelle.

  1. Lettre du 18 avril 1899 : « Je n’ai pas votre optimisme. Pour moi, le complot continue, on ira jusqu’au bout du plein effet de la loi de dessaisissement. Quand on a risqué la honte d’une telle loi, c’est que tout le monstrueux plan de campagne est arrêté, c’est qu’on est bien résolu à marcher quand même. Et vous allez le voir aboutir, ce plan… Le président Ballot-Beaupré peut très bien déclarer juridiquement qu’il n’y a pas de fait nouveau, en croyant qu’il sauve la France. Ne dit-on pas déjà que la Cour tout entière s’inclinera devant son opinion ? Voilà ma terreur, c’était celle de ce pauvre Labori, et je tremble que nous seuls ayons vu clair. Je ne cesse d’écrire à mes amis que la revision sera rejetée… Je vous dis là ce que mon cerveau roule pendant mes promenades solitaires. Du lointain où je suis, je crains bien d’avoir la vue nette des choses. Et Dieu veuille que je me trompe ! » — Cf. Vizetelly, loc. cit., 257.
  2. Lettre du 16 février 1899.
  3. La Vérité en marche, 137.