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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/532

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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


intervention déciderait de la victoire, son devoir eût été de parler, comme Mathieu lui en laissait la liberté et comme Dreyfus l’en pria. Mais il était trop avisé pour le croire. De fait, les dés étaient jetés[1].

D’où dépend le point que marquera le dé ? Nullement du hasard. Il est la résultante mathématique de plusieurs facteurs certains : le poids du petit cube d’ivoire, sa position dans le cornet, l’impulsion donnée au cornet par la main, vigoureuse ou faible, qui le fait tourner, la vitesse acquise en raison de la distance. Quand le dé lancé s’échappe du cornet, le point qu’il marquera est acquis, il n’y a plus de force au monde qui puisse lui en faire marquer un autre. Pourtant les joueurs anxieux continuent à espérer. Ainsi des amis de Dreyfus. Aucun discours, ni prudent ni enflammé, ne pouvait plus changer l’arrêt du conseil.

Les meilleurs juges en la matière, Jaurès et Viviani comme Waldeck-Rousseau, c’est-à-dire les premiers à la tribune et à la barre, trouvèrent le plaidoyer de Demange « admirable[2] », non qu’il s’en dégageât aucune impression générale ou sensation d’art, mais à cause de la « décisive » lumière dont il éclaira l’amas de mensonges et de sottises qui enténébraient cette simple histoire, et de l’effort le plus touchant qui eût été encore tenté pour amener les militaires, sans les humilier, à convenir de leur erreur. Parce que rien n’assure qu’entre les innombrables inventions et hypothèses qui ont été produites devant le conseil, ce n’est pas la plus

  1. Barrès, dans le Journal du 8 septembre 1899 : « Le procès est terminé ; la sentence est formée, sinon formulée. » Éclair du 9 : « Les paroles, à cette heure, n’ajoutent rien à la conviction des juges. »
  2. Petite République du 10, article de Jaurès ; Aurore du 9 : « Chef-d’œuvre de logique et de clarté… Quoi qu’il arrive, Me Demange aura bien mérité de la justice. »