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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/61

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CHAMBRES RÉUNIES

Un jeune poète disait, des pierres de sa cellule, « qu’elles formeraient, un jour, le socle de sa statue[1] », et « Monsieur Bergeret » écrivait : « J’aurais honte de le plaindre. Je craindrais trop que ce murmure de pitié humaine arrivât jusqu’à ses oreilles et offensât la juste fierté de son cœur. Loin de le plaindre, je dirai qu’il fut heureux…[2]. »

Scheurer, à Thann, prisonnier d’un mal mortel, la gorge envahie par les abcès et charcutée par les chirurgiens, n’était pas moins stoïque. Il souffrait atrocement, essayait de plaisanter de son supplice : « Quelle horreur que la souffrance physique ; parlez-moi de la souffrance morale !… » D’une séance de cinq heures chez le juge d’instruction de Belfort, qui avait reçu une commission rogatoire de Tavernier, il était revenu brisé : « Jamais vous ne guérirez, lui dit son médecin, si on ne vous laisse tranquille. » Mais, lui-même, il ne se laissait pas en repos, la pensée toujours tendue vers Paris, s’informant de tout et donnant toujours de sages conseils.

L’élection de Loubet, qui avait été l’un de ses premiers confidents[3], lui procura une heure de joie[4] et lui parut le gage de la prochaine réparation. Cette grande œuvre était la sienne, à lui plus qu’à tout autre, puisqu’il n’avait pas attendu les événements et les avait provoqués. Mais il en attribuait la gloire principale à d’autres, avec une modestie qui l’égalait aux plus purs

  1. Fernand Gregh, dans la Volonté du 26 novembre 1899.
  2. Monsieur Bergeret, 197.
  3. Voir t. II, 527.
  4. Je lui télégraphiai le résultat du scrutin ; il in écrivit, le jour même : « Votre bienheureuse dépêche m’arrive à l’instant. Quel bien je vous dois ! J’ai vécu, ce jour, dans des inquiétudes mortelles, et vous êtes venu, comme toujours, m’apportant la bonne nouvelle. Je suis dans la joie… »