risquant des défaites, le sacrifice sanglant de milliers d’hommes, pour nuire à un camarade. Maintenant, plutôt que convenir d’une erreur où quelques-uns seulement avaient participé, tous se faisaient solidaires et « se dévouaient les uns pour les autres », ainsi qu’avait dit Négrier[1], et jusqu’à la félonie.
Freystætter, en rentrant chez lui, adressa à Giovaninelli une lettre très noble, où il se refusait à confondre la cause de l’armée avec celle de quelques hommes compromis[2]. Lui-même, avant d’entrer dans la chambre du conseil, il était déjà résolu à condamner Dreyfus ; cependant, « si les pièces secrètes n’ont pas influencé son jugement personnel, la communication n’en était pas moins une illégalité… Je m’y suis prêté sans connaître la loi ; je ne veux point conserver plus longtemps ce poids. »
Il s’était fiancé, depuis quelques jours, à une jeune fille de Versailles[3] ; avant d’envoyer sa lettre, il la lui montra, lui en dit la gravité, les conséquences probables pour son avenir. La réponse fut simple, celle qu’il attendait : « Agissez suivant votre conscience, j’ai confiance en vous. »
Du coup, il s’éleva au niveau de Picquart, d’Hartmann, de Ducros, et si le sort méchant, si la gloire, ont frappé inégalement ces soldats, il appartient à une justice, supérieure à la renommée et au destin, de les unir dans une même estime.
La réponse de Lockroy fut ce qu’elle devait être, affirmative ; Freystætter, dès le lendemain, offrit à Mazeau son témoignage, écrit ou oral[4].