Aller au contenu

Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/70

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
60
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


risquant des défaites, le sacrifice sanglant de milliers d’hommes, pour nuire à un camarade. Maintenant, plutôt que convenir d’une erreur où quelques-uns seulement avaient participé, tous se faisaient solidaires et « se dévouaient les uns pour les autres », ainsi qu’avait dit Négrier[1], et jusqu’à la félonie.

Freystætter, en rentrant chez lui, adressa à Giovaninelli une lettre très noble, où il se refusait à confondre la cause de l’armée avec celle de quelques hommes compromis[2]. Lui-même, avant d’entrer dans la chambre du conseil, il était déjà résolu à condamner Dreyfus ; cependant, « si les pièces secrètes n’ont pas influencé son jugement personnel, la communication n’en était pas moins une illégalité… Je m’y suis prêté sans connaître la loi ; je ne veux point conserver plus longtemps ce poids. »

Il s’était fiancé, depuis quelques jours, à une jeune fille de Versailles[3] ; avant d’envoyer sa lettre, il la lui montra, lui en dit la gravité, les conséquences probables pour son avenir. La réponse fut simple, celle qu’il attendait : « Agissez suivant votre conscience, j’ai confiance en vous. »

Du coup, il s’éleva au niveau de Picquart, d’Hartmann, de Ducros, et si le sort méchant, si la gloire, ont frappé inégalement ces soldats, il appartient à une justice, supérieure à la renommée et au destin, de les unir dans une même estime.

La réponse de Lockroy fut ce qu’elle devait être, affirmative ; Freystætter, dès le lendemain, offrit à Mazeau son témoignage, écrit ou oral[4].

  1. Voir t. IV, p. 267.
  2. « La confusion apparente fut amenée par l’entrée dans la lutte du lieutenant-colonel Henry et de ses amis qui, comme des enfants… »
  3. Lucie Lissarague.
  4. Cass., II, 5, lettre de Lockroy, du 16 avril 1899 ; lettre de Freystætter à Mazeau, du 17.