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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1908, Tome 6.djvu/165

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L’AMNISTIE


hommes celui qui croit le moins aux hommes, qui les aime le moins, Clemenceau ; il est dominé, comme le serait une femme, par ce dur jongleur d’idées ; il a subi la contagion de cette intelligence desséchante, de cet esprit tarisseur de sources. D’une joie et d’une foi héroïques en prison, il a passé dans la demi-solde à l’amertume.

Le reste de la lettre est un âpre et parfois lyrique réquisitoire contre la politique de Waldeck-Rousseau dans l’Affaire, politique « qui est de nature à soulever l’indignation des gens les plus habiles à se maîtriser ». — D’abord Rennes : « À quel spectacle lamentable nous avons assisté là-bas ! » Toutes les fraudes, « la violence poussée jusqu’à l’assassinat », d’un côté, et, de l’autre, du fait de « l’action gouvernementale s’exerçant officieusement », la défense réduite « à une passivité qui lui a été fatale », les témoins « troublés par d’extraordinaires pronostics sur les dispositions des juges » ; « on eût dit qu’il s’agissait de la liquidation de quelque affaire louche et non d’un procès pendant lequel le monde entier avait les yeux fixés sur notre pays et qui devait être la réhabilitation solennelle d’un innocent ». — Il a quitté Rennes l’avant-veille du jugement, avec Gast, sur un avis du préfet qui le tenait pour particulièrement exposé en cas de troubles[1]. Voici comment il raconte son départ :


J’avoue n’avoir pu supporter cela jusqu’au bout ; quand j’ai vu nos propres amis s’appuyer sur les conseils les plus autorisés pour étouffer la voix de Labori et accomplir ainsi l’œuvre à laquelle, par miracle, un assassin n’avait pu réussir, j’ai trouvé que c’en était trop, et j’ai quitté Rennes en proie au plus profond écœurement.


  1. Voir t. V, 529.