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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1908, Tome 6.djvu/179

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LE BORDEREAU ANNOTÉ


faire agir son frère Waldeck-Rousseau ayant dit la veille que « l’amnistie est faite pour les coupables », Dreyfus se doit de protester, « de lui jeter à la face ce qui s’est passé à Rennes et les conditions dans lesquelles la grâce est intervenue[1] ». Mathieu, bien qu’irrité, lui aussi, contre Waldeck-Rousseau, persiste dans son refus. Labori s’emporte, recommence à l’incriminer : il est le prisonnier du gouvernement et lui a sacrifié ses amis. Mathieu, las d’être humilié, soupçonné d’actions basses et louches, alors qu’il a toujours marché droit son chemin, riposte d’un ton plus vif. Il en a assez, ne permet à personne de mettre sa loyauté en doute. Labori perd alors toute mesure. Ses colères, factices au début, finissaient, après quelques minutes, par devenir sincères. Il ne se possédait plus, criait tout ce qui lui venait à la bouche. Qu’est-ce que Dreyfus a fait depuis un an pour empêcher l’amnistie, préparer la revision du jugement qui l’a condamné, retrouver son honneur ? « Vous ne vous préoccupez que de la peau de votre frère…[2] » Mathieu, cette fois, n’en peut entendre davantage : « Adieu, monsieur ! » dit-il d’une voix étranglée à Labori, et il prend la porte[3].

Mathieu, quelle que fût son amertume, était trop politique pour ne pas se rendre compte que sa rupture avec Labori serait surtout préjudiciable à son frère ; sa fierté avait attendu pour se révolter que l’honneur même fût en cause ; pourtant, comment faire savoir au public la vérité sur leur querelle ? comment s’expliquer sans

  1. Lettre de Labori à Mathieu (voir p. 170.)
  2. Souvenirs inédits de Mathieu Dreyfus.
  3. « Tout est rompu… Hé bien, au revoir, Monsieur. — Labori : Au revoir, Monsieur. » (Lettre de Labori à Mathieu.) — « Vous m’avez répondu : « Allez rejoindre votre Waldeck. » (Lettre de Mathieu à Labori.) — Voir p. 171).