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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1908, Tome 6.djvu/182

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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


pas seulement des satisfactions d’amour-propre ; elle lui mettra encore entre les mains une arme qui obligera le gouvernement de Waldeck-Rousseau à compter avec lui.

Mathieu avait attendu deux jours avant d’informer son frère de l’incident, sachant la peine qu’il en aurait et espérant arranger les choses. Quand il vit son effort inutile, il l’engagea à écrire à Labori et à lui demander une entrevue. Labori commença par la décliner ; il trouvait « inadmissible » que Mathieu se fût tu si longtemps à son frère, comme si le différend survenu entre eux n’engageait que lui, et s’étonnait, au surplus, que Dreyfus, dans sa lettre, n’exprimât aucun regret ; « ni le cœur ni la raison » de Labori ne comprenaient de pareils procédés. Dreyfus répondit aussitôt que le silence de Mathieu n’avait eu d’autre cause qu’« une touchante sollicitude », le désir de lui laisser ignorer « une injuste appréciation », qu’il professait la plus vive admiration pour le talent et le courage de Labori et qu’il était persuadé qu’un entretien loyal mettrait fin à un déplorable malentendu. Labori lui écrivit le même jour « qu’en présence de son insistance, il ne pouvait pas refuser de causer avec lui » et lui donna rendez-vous pour le lendemain ; Dreyfus, pensait-il, « ne verrait pas d’inconvénient à ce que le colonel Picquart, qui voulait bien y consentir, assistât à l’entretien[1] ».

Dreyfus n’avait pas encore vu Picquart, puisque la lettre, où il lui demandait audience, était restée sans réponse, et ce fut ainsi qu’il le revit pour la première fois, dans le cabinet de l’avocat, comme une manière de juge ou de franc-juge qui lui parla comme à un accusé (22 décembre 1900).

  1. 16 à 21 décembre 1900.