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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1908, Tome 6.djvu/208

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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


resplendissait de santé et de force, la tête pleine de projets. Brusquement, un accident stupide l’assomma (30 septembre 1902).

Il venait de rentrer de Médan, où il avait passé l’été, à Paris, dans son petit hôtel de la rue de Bruxelles. On fait du feu dans sa chambre à coucher ; le tirage de la cheminée, obstruée de gravats, fonctionne mal ; l’oxyde de carbone se répand dans la chambre où Zola partage le lit de sa femme, les empoisonne lentement. Vers le milieu de la nuit, ils se réveillent ; Mme Zola se lève, passe dans une pièce voisine, respire un peu d’air pur qui la sauvera, revient auprès de son mari qui se sent oppressé ; elle veut sonner les domestiques, il s’y oppose ; un peu plus tard, elle l’entend se lever ; puis, plus rien. Au matin, la femme de chambre surprise qu’on ne l’appelle pas, s’inquiète ; il faut enfoncer la porte fermée à clef : dans le lit, Mme Zola râlait ; au pied du lit, Zola était étendu, asphyxié, encore chaud.

Rochefort, Drumont, insinuèrent que cet homme, d’une vie intense, qui s’appelait « un amant de la vie », à l’apogée de sa gloire, s’était suicidé.

L’émotion fut grande, accrue par la vulgarité, misérablement tragique, de l’événement, qui semblait un fait divers naturaliste.

Ce qu’il fut surtout, c’est une force. La qualité maîtresse de son œuvre immense, où s’agitent plus de douze cents personnages, parfois d’aspirations très hautes, souvent basse et factice, c’est la force. Quand il entre dans la vie publique, c’est comme une force, une force déchaînée, qui ébranle tout et qui passe. Et cette force gisait là, faute d’un carreau de verre brisé à temps, par où serait rentrée la vie, et qui évoquait la belle image de Séailles, quand il compara l’acte de Zola « à celui d’un homme qui, enfermé