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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1908, Tome 6.djvu/212

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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


soupçonne Esterhazy de trafiquer avec Schwarzkoppen ; « sans les brillantes qualités d’énergie et de bravoure » du commandant, on aurait pris une mesure plus sévère. Sur quoi, grosse colère d’Esterhazy qui écrit à Henry : « C’est moi que ces canailles accusent, parce que, n’y voyant pas plus loin que le bout de leur nez, ils ne savent où prendre le coupable. Il n’y a pourtant qu’à étendre la main… Ces gens-là qui me bravent ne savent pas ce dont je suis capable pour me venger d’eux. »

J’eus l’impression nette que ces lettres étaient des faux, et tel fut aussi l’avis de Picquart[1] et de Puybaraud. Dans l’une d’elles, Esterhazy disait avoir rencontré Cordier au ministère ; Cordier m’affirma qu’il ne l’y avait jamais vu. Surtout, c’est une règle assez sûre que toute pièce, venant d’une source anonyme, qui confirme ou semble confirmer une hypothèse du destinataire ou de l’acquéreur, a été forgée. Par précaution, je remis ces lettres au Procureur général avec une plainte en faux contre inconnu.

Mathieu chercha du côté des juges de Rennes.

Il avait remporté du procès la conviction que les passions politiques et religieuses, l’amour-propre militaire, l’intervention des généraux, parlant au nom de l’armée et les vrais maîtres de l’audience, celle de Cavaignac, les démonstrations de Bertillon suivies avec une attention si singulière, les révélations de Cernuski dont Galliffet lui-même fut troublé, et l’atmosphère elle-même, l’atmosphère chargée de colère et de haine où vivaient les juges, n’avaient pas suffi à leur arracher l’inique condamnation. Autre chose encore, qu’on ne savait pas, avait dû peser sur eux. La rédaction même

  1. Cour de cassation, 7 mai 1904, Picquart.