Aller au contenu

Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1908, Tome 6.djvu/227

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
217
LE BORDEREAU ANNOTÉ


geste, l’absorbe avec la même placidité, le traite, le triture pareillement jusqu’au bout. Argumenter, raisonner n’est pas juger, discerner le vrai du faux. C’est la plus belle machine à raisonner qui soit, mais ce n’est qu’une machine à raisonner.

Jaurès prévint Combes de son dessein. Combes, tout batailleur qu’il fût, aurait préféré ne pas ajouter aux embarras de la lutte contre les Congrégations ; pourtant, il ne fit pas d’objections. Convaincu depuis longtemps de l’innocence de Dreyfus, il aurait redouté de mécontenter Jaurès. Brisson, également averti, promit son concours. Waldeck-Rousseau fit des réserves d’un caractère surtout juridique.

Il y avait trop de personnes dans la confidence et Jaurès était trop plein de son sujet pour que le bruit ne se répandît pas que l’Affaire allait reprendre. Comme ceux qui ne savaient rien voulaient se donner l’air de savoir, on annonça des révélations extraordinaires. Jaurès chercha à prévenir les déceptions. Il dit, dans un discours à Vierzon, qu’il admirait les gens qui, après l’éclair du faux Henry, attendaient encore un coup de foudre ; toutefois il fera, dans les ténèbres de Rennes, « une large trouée par où passera un peu de lumière et un peu plus de justice[1] ».

Bien que Jaurès n’eût point précisé, on sut bientôt qu’il s’agissait du bordereau annoté. C’était recommencer l’erreur de Scheurer, mettre l’ennemi sur ses gardes, lui donner le temps de préparer sa défense ou sa retraite. Mercier, au premier mot qu’on lui dit, répliqua qu’il ne savait rien du bordereau annoté. On a raconté qu’il en aurait fait communiquer la photographie aux juges de Rennes : c’est un mensonge[2].

  1. Petite République du 6 février 1903.
  2. Lanterne du 7.