Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1908, Tome 6.djvu/280

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
270
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


mais Cuignet aurait rempli ciel et terre de ses cris et, cette fois, avec raison. Par la suite, quand Targe portera à la Cour de cassation leur roman du faux falsifié, il ne nommera point Cuignet, ne formulera qu’une accusation « contre inconnu[1] ».

André, au surplus, avait décidé de n’entendre aucun témoin. Il avait été tenté de faire venir les juges de Rennes, de les confesser sur le bordereau annoté. Il réfléchit que c’eût été « se substituer à la justice, s’ériger en juge unique[2] » ; sauf Gribelin, Pauffin de Saint-Morel et quelques sous-ordres du service, il n’interrogea personne. Du Paty lui ayant demandé audience pour l’éclairer sur son propre cas, sur l’affaire Humbert dans ses rapports avec l’affaire Dreyfus et sur « un acte de trahison qui avait été une des causes déterminantes de la capitulation de Fachoda », il le renvoya à la justice[3]. Son examen ne pouvait et ne devait porter que sur les pièces et documents du département de la Guerre.

  1. Cour de cassation, 7 mai 1904, Roget : « M. le Procureur général m’a dit au sujet du faux Henry, qu’il portait actuellement des altérations très visibles, visibles à l’œil nu, visibles du premier coup. Je ne pense pas qu’il ait l’intention de suspecter deux ministres, le chef et le sous-chef d’État-major, ainsi que les témoins qui ont été mêlés à la découverte du faux. » Baudouin, cependant, persiste à croire que « le récit de Cuignet et de Cavaignac est inexact » : « Il leur a suffi de regarder la pièce pour y découvrir ce que nous y voyons du premier coup d’œil et ce que le style criait aussi bien que l’examen matériel. » (Revision, II, 103.) Baudouin oublie que Brisson et Sarrien virent la pièce, la crurent bonne, et que « le style » ne cria rien à la Chambre, qui vota l’affichage du discours de Cavaignac, ni, d’ailleurs, à Baudouin lui-même, puisqu’il ne fit pas dès lors le raisonnement qui, après les aveux d’Henry, fit dire à Lemaître : « Ce jour là, nous avons tous accepté la revision. » (Voir p. 299 et t. IV, 222).
  2. Cass., IV, 403, Rapport au Président du Conseil.
  3. Cour de cassation, 13 juin 1904, Targe.