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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1908, Tome 6.djvu/289

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L’ENQUÊTE


était resté si longtemps rebelle à l’innocence de Dreyfus, comment il avait voulu la Revision, après les aveux d’Henry, et comment, malgré tant d’obstacles, il avait aidé à la première victoire de la justice. — J’avais donné, un peu avant, le troisième volume de cette histoire (le procès d’Esterhazy, le procès de Zola, le fort de la tempête). — Ces récits des jours troublés faisaient sentir tout le prix de l’apaisement, voisin de l’indifférence, où se préparait la deuxième revision. Nombre d’anciens adversaires de l’amnistie s’interrogèrent, conclurent que Waldeck-Rousseau avait eu raison contre eux. Drumont, Judet, quelques jeunes gens de l’Action française, élèves de Maurras, cherchèrent à tirer un son des vieilles formules (l’Honneur de l’armée, le Syndicat de trahison) ; mais ils tapaient sur des tambours crevés.

Il faut beaucoup de temps pour faire périr un mot ; ceux-ci étaient enfin morts, ne trompaient plus personne.

Le premier parmi les ouvriers, si peu nombreux, de la première heure, Bernard Lazare, s’éteignit le 2 septembre, à trente-huit ans. Il souffrait cruellement, depuis de longs mois, avait été opéré et, réduit à l’état de squelette, gardait tout son amour de la vie, une confiance héroïque de triompher du mal qui l’avait déjà vaincu. Peu de jours avant sa mort, la tête pleine de projets, il m’entretint d’un livre sur les juifs, Le Fumier de Job, qu’il écrirait dès qu’il serait guéri. Il avait recueilli dans la dure bataille beaucoup plus que sa part d’outrages et beaucoup moins que sa part de renommée ; son amour-propre, son légitime orgueil n’avaient point eu leur pâture nécessaire de gloire ; il s’en irritait, attribuait à sa qualité de juif le silence qu’avaient fait descendre sur son nom de plus tard venus dans la course du flambeau de