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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1908, Tome 6.djvu/303

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L’ENQUÊTE


qu’une manière de personnage abstrait, et que, maintenant, « il connaissait l’homme ».

Il prie la Cour « d’excuser son émotion », mais l’homme n’a pas été moins calomnié que le soldat.

Demange était assis auprès de lui, et Labori aussi était là. Bien qu’il ne fût plus l’avocat de Dreyfus, il avait tenu à assister à ces débats et les suivait depuis trois jours, ainsi que Picquart, avec beaucoup d’attention.


Je sais, dit Mornard, je sais quel est ce soldat qu’on arrachait aux étreintes de la double-boucle pour le jeter tout pantelant devant le conseil de guerre comme une victime offerte à toutes les haines antisémites. Je sais quelle est cette nature droite et loyale dont les tortionnaires ont bien pu vaincre l’énergie physique, mais n’ont pu entamer encore l’énergie morale.


Il s’arrête un instant, la gorge un peu serrée, puis reprend :


Je sais quel est cet esprit prétendu hautain et cassant, qui est en réalité un timide luttant contre sa timidité. Je sais ce qu’est ce cœur qu’on a prétendu insensible et qui souffre cruellement, en se faisant un devoir de ne pas montrer sa souffrance ; et de ce fait mes confrères Demange et Labori pourraient vous apporter un témoignage véritablement poignant. Ils pourraient vous dire…


Labori, en entendant son nom, s’est tourné vers Mornard ; puis, brusquement, il se lève, se couvre de sa toque et, fendant les rangs pressés des avocats et de l’auditoire, quitte la salle.

Picquart, quand il passa près de lui, l’approuva assez haut pour être entendu[1].

  1. « Picquart lui a dit à mi-voix : « Très bien ! Très bien ! » (Écho de Paris du 6 mars 1904.) — De même Gaulois, In-