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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1908, Tome 6.djvu/349

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L’ENQUÊTE


commencé une révolution morale. Un grand découragement le prit. Il ne pouvait crier, la bouche close par le secret qu’il avait promis, mais il n’avait plus de goût à rester dans une armée livrée, disait-il aux délateurs, après l’avoir été aux jésuites. Bien qu’il fût inscrit au tableau pour le grade de colonel, il demanda sa retraite.

Dans ces conditions, il lui fut insupportable qu’André, par Targe, fit appel à son opinion sur le cas de Bernheim. Tout froid qu’il parût, avec son rude visage austère, aux traits aigus, comme taillés au couteau dans un morceau de bois, il était l’homme du monde qui se pouvait le moins contraindre ; il releva vivement le procédé de Targe à son endroit, refusa de déposer. « S’il y a, dit-il à Baudouin, une accusation à émettre contre un officier de l’armée française, ce n’est pas à moi qu’il faut s’adresser. Je suis dans une enceinte où l’affaire pendante prouve qu’il ne faut pas être léger dans ses accusations. » — C’était rétracter celle qu’il avait formulée contre Bernheim par un raisonnement a priori, par l’axiome que la réglette ne peut se séparer du manuel. — « Si le ministre de la Guerre a une opinion, qu’il en prenne la responsabilité ! »

Targe se garda de relever le défi et Bernheim n’eut plus que peu de mots à dire pour établir son entière bonne foi.

Bernheim avait été soupçonné seulement dans un cercle restreint ; l’épreuve de Ducassé, l’ancien officier d’ordonnance de Pellieux et son greffier pendant l’enquête sur Esterhazy, fut de beaucoup plus cruelle, parce que publique et parce que les actes qu’on lui imputait étaient contre l’honneur. Il avait été accusé par Picquart, dans une lettre ouverte au général André[1],

  1. 16 juillet 1901.