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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


« morceaux », comme avaient dit Roget, Cavaignac et Gonse[1], jeté au panier, où la ramasseuse l’aurait trouvé ; surtout, ils ont eu la misérable lettre entre les mains, l’ont comparée aux pièces, froissées, morcelées, qui venaient du chiffonnier de l’attaché allemand[2]. Aussi bien Brücker n’a pas toujours dit « qu’il ne savait pas » ; il a fait autrefois le récit véridique de l’incident à son oncle, vieil employé à la préfecture de police[3], qui l’avait rapporté à Puybaraud. Tous deux étaient morts, comme déjà tant d’autres acteurs et témoins de l’Affaire ; mais Puybaraud m’avait raconté les confidences de Brücker, dont j’avais pris note le soir même[4] ; Sardou et son gendre, qui assistaient à l’entretien, en avaient gardé le souvenir et en déposèrent[5]. Le bordereau, intact dans son enveloppe, a

  1. Rennes, I, 287, Roget ; Cass., I, 28, Cavaignac ; I, 239, Gonse. — Voir t. Ier, 37 à 50, et Tout le Crime, 384 à 414 : Les petits mystères du bordereau.
  2. Cour de cassation, 26 mars 1904, un conseiller, s’adressant au commandant Matton : « Vous avez vu le bordereau ; il est à peine déchiré ; il ne présente pas l’aspect de ce qui arrivait par la voie ordinaire. » Matton répond : « Je ne puis pas me rappeler s’il était déchiré ou non. » — Il y a 20 déchirures au rapport sur les manœuvres de 1892, 36 au rapport sur le projet de loi modifiant les lois précédentes sur le service militaire, 86 au rapport sur les manœuvres de 1893. (Dossier Allemagne.)
  3. Il s’appelait également Brücker.
  4. 30 novembre 1899 : « Quand la concierge de l’ambassade allait boire au cabaret, la femme Bastian lui gardait sa loge. Un jour qu’elle y était installée, elle prit dans le casier de Schwarzkoppen une lettre à son adresse ; elle aurait vu dans le même casier un autre pli, plus gros, qu’elle ne prit pas. Elle donna la lettre à son ami Brücker. Celui-ci ouvrit l’enveloppe, vit le document et l’apporta à Henry triomphalement. Henry, ce jour-là, aurait dit à Brücker que la pièce était sans grande importance. Brücker, qui l’avait lue, se récria. Henry, ainsi prisonnier de Brücker, dut marcher. »
  5. 9 mai 1904. — Déposition de Sardou : « Henry, après avoir jeté les yeux sur le document que lui apportait Brücker, répondit :