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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1908, Tome 6.djvu/380

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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


la déposition de Delanne, les fit arrêter[1]. Le référé de Cassel les inculpait « de ne pas justifier de l’emploi » des 20.000 francs qu’ils avaient prélevé sur le fonds de réserve[2] ; l’ordre d’informer du gouverneur de Paris visait « le crime de vol de deniers appartenant à l’État[3] ».

De fait, ni André ni Dessirier, pas plus que Cassel, ne pensaient que Rollin, Mareschal et François fussent des voleurs ; ils présumaient, comme Atthalin, que les trois officiers avaient détourné une partie de la somme pour acheter Cernuski, ce qui eût été aussi un crime et, même, un double crime, détournement de fonds et complicité de faux témoignage ; et André se flattait que l’ignominie de l’accusation publique et la prison préventive leur feraient avouer qu’ils avaient organisé avec Przyborowski la machination de Rennes. Mais précisément cette attente d’un coup de théâtre, qui aurait été aussi retentissant que les aveux d’Henry, condamnait l’initiative d’André, car le crime dont il soupçonnait les officiers était couvert par la loi d’amnistie et il les savait innocents de celui dont les inculpait l’ordre d’informer.

Qu’il n’y eût pas d’autre moyen de leur arracher l’aveu souhaité que la fausse inculpation et la prison, André pouvait le penser ; pourtant, il n’aurait pas osé le dire ; et c’était violer une loi d’État, qu’il avait contribué à faire voter, jouer de la justice, affaiblir la vérité, si elle avait pu être obtenue par de tels moyens. Et, de plus, c’était une sottise, car les officiers lurent dans son jeu et, qu’ils fussent ou non coupables du crime dont André

  1. 29 juin 1904. — La déposition du général de Lacroix est postérieure de dix jours à l’arrestation des trois officiers.
  2. Procès Dautriche, 18 (rapport Cassel).
  3. Article 248 du Code Pénal.