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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1908, Tome 6.djvu/43

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L’AMNISTIE


naient pas à faire oublier que la Haute-Cour était une juridiction politique. C’est le vice profond de ces sortes d’institutions qu’elles seront toujours soupçonnées de manquer de l’impartialité et de la sérénité sans lesquelles il n’y a pas de justice, alors même qu’elles s’efforcent le plus d’en faire preuve. La Constitution eût dû créer une Cour suprême, distincte du Sénat, composée d’hommes étrangers absolument à la politique. Pour l’opinion, dès qu’il s’agit d’accusés politiques, point d’autre crime que la défaite. « Ils savaient les risques de leur tentative. Ils ont perdu la partie. Ils iront en prison ou en exil. »

Cependant, l’autorité de Waldeck-Rousseau s’imposait tous les jours davantage, parce qu’il donnait à tous, adversaires ou amis, l’impression d’une volonté et que cette volonté, calme et réfléchie, tendait par tous ses efforts à refaire un gouvernement. Il y travaillait par des actes parfois contradictoires et avec des éléments étonnés de se trouver ensemble ; mais c’est que l’art de gouverner ne consiste pas, comme celui de l’écrivain, à développer seulement les conséquences d’un principe abstrait ; l’homme d’État est tenu de prendre les choses telles qu’elles sont, telles qu’il les trouve, pour ne pas se briser contre elles ; il emploie des hommes, non des mots.

Il eût préféré que son ancien parti ne se fût pas dérobé à l’heure des lourdes responsabilités et du danger ; il aurait préféré aussi que Dreyfus eût été acquitté à Rennes, et que l’indulgence envers les coupables fût le corollaire de la victoire. Mais, comme les événements avaient tourné autrement, c’était la force même des choses qui l’obligeait, non pas à suivre une autre politique que celle qu’il s’était proposée, à savoir de ramener la tranquillité et de renouer la tradition républi-

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