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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1908, Tome 6.djvu/476

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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


leur, fût récupéré par l’État, conformément à la loi[1], « sur les faux témoins et autres auteurs des manœuvres dolosives perpétrées pour tromper les juges » ; « c’eût été à ses yeux une satisfaction nécessaire donnée à la morale publique[2] ».

Mais Dreyfus, obstiné, inébranlable comme la barre de fer qu’il était, durcie encore par l’épreuve, s’y refusa. Sa vie avait été bouleversée par les événements les plus extraordinaires ; mais il lui était arrivé des événements intérieurs plus graves encore qui avaient développé une rare noblesse dans cette âme repliée sur elle-même. Il dit à Mornard que, « soldat, il avait voué sa vie à la patrie et lui avait tout offert », qu’elle avait eu dès lors « le droit de tout prendre, santé, avenir, bonheur », et qu’ainsi « il avait supporté les angoisses, les misères et les tortures sans nom de l’île du Diable comme les souffrances d’une campagne atroce ». Donc, rien que son honneur, « tout entier, sans tache, parce que c’est le patrimoine inaliénable et sacré de ses enfants[3] ».

Mornard, en conséquence, renonçait à toute indemnité pour son client. Aussi bien « ne lui déplaisait-il pas de souffleter de cet acte de désintéressement » et tous ceux qui avaient crié et propagé la légende du Syndicat, et « tous ceux aussi qui avaient amassé des rentes » à poursuivre le juif de leurs calomnies et de leurs mensonges. Il entendait les marchands de papier imprimé, toute la presse antisémite.

Il avait parlé trois jours durant, avec ce grand et beau calme, cette gravité naturelle dont il ne se départait jamais, de sa voix pleine et claire, souvent émue, sans gestes, simple et bon comme il était. Il salua en termi-

  1. Article 446 du Code d’instruction criminelle.
  2. Revision, II, 473, Mornard.
  3. Ibid., II, 474.