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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1908, Tome 6.djvu/82

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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


des Freystætter et des Hartmann ? Et, alors même que ces justes ne se seraient pas trouvés dans l’armée, de quel limon croyez-vous qu’est faite l’âme de ceux que vous appelez des « honnêtes hommes », quand vous écrivez qu’ils ne voient sur l’uniforme français que la boue recouvrant le sang ?… Raillez-moi, monsieur Gohier, mais je continue à saluer dans ces hommes qui ont été trompés, qui seront détrompés un jour, j’en ai la ferme espérance, et qui, même s’ils ne doivent jamais être détrompés, n’en sont pas moins dignes de respect et d’estime, parce que la pensée qui les guide, et qui les trompe, a sa source dans l’amour de la Patrie et de l’armée… Nous avons montré, nous autres, que le sentiment du Droit n’est point mort dans notre pays. Ils ont montré eux, tout en faisant erreur sur les faits, quelle est, dans notre corps d’officiers, l’ardeur d’un patriotisme jaloux. Moi, qui, peut-être plus que vous, ai été insulté, outragé, vilipendé, traîné dans la boue et haï, je m’incline devant leur patriotisme et je les en honore.

L’article fit grand bruit, soulagea beaucoup de consciences de revisionnistes, étonna dans l’autre camp beaucoup de braves gens qui avaient cru au Syndicat juif, à la campagne, organisée systématiquement, avec l’or allemand, contre l’armée.

Je reçus de Gohier une bordée d’injures ; Picquart dit à Clemenceau « qu’il y avait en moi du sang de Judas Macchabée[1] ».

XI

La condamnation de Dreyfus à Rennes dut fort divertir Esterhazy. — Il avoue le bordereau ; pour les juges

  1. Clemenceau, dans le Bloc du 7 avril 1901.