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Page:Journal asiatique, série 10, tome 2.djvu/410

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NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1903.

dante, elles se trouveront fausses dans la pratique, elles retarderont indéfiniment la délivrance. Du fait que rien n’existe réellement, que tout est essentiellement en état de nirvana (prakrtinirvrta), il ne s’en suit pas que la libération de l’apparence soit actuellement réalisée, il ne s’ensuit pas que la libération soit réalisable par la connaissance du néant. Uniquement occupé de son identité avec le Brahman, le Vedântin négligera Brahmâ, organisateur du monde des apparences, Visnu et les autres incarnations suprêmes du Brahman, les devoirs de la famille et de la caste : or l’identité demeure, mais il est trop tôt pour qu’elle se manifeste. Le bouddhiste, tout entier à la çûnyatâ, à la vacuité, négligera la pitié ; et l’apparence, que la pitié seule peut ruiner, ne sera pas interrompue : Vedântins et bouddhistes, par cette hâte maladroite, s’enlisent plus profondément dans le torrent boueux des désirs et du samsara.

Un jour viendra, ce jour est venu pour les arhats et les jivanmuktas, où les conclusions de la raison spéculative, non seulement s’imposeront à l’esprit, mais régneront dans une âme épurée de toute trace des actes et des pensées égoïstes : alors sera réalisé le samyagdarçana[1] (vue exacte) qui consiste, non pas à savoir que «je suis le Brahman», que «tout est vide», mais à dépouiller toute conscience, à être exempt de toute pensée individuelle. La raison pure, la vérité védantique, la Prajñâ, « fendoir

  1. Voir Deussen, Vedânta ; « universelle Erkenntniss, wollkommene Erkenntniss ».