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JOURNAL DE GOUVERNEUR MORRIS

et que cela fait son malheur. Je la plains un peu de son veuvage, le comte de Narbonne étant absent en Franche-Comté. Nous parlons longuement de l’évêque d’Autun. Je lui demande si elle accepte ses avances, car en ce cas je profiterais de l’observation en faisant ma cour à Mme de Flahaut. Il serait difficile de poser une question plus étrange à une femme ; mais tout est dans la manière de la faire et elle passe. Elle me répond qu’elle invite plutôt qu’elle ne repousse ceux qui sont disposés à la courtiser, et bientôt après elle ajoute que je pourrais devenir un de ses admirateurs. Je réplique que ce n’est pas impossible, mais comme première condition, elle doit consentir à ne pas me repousser ; elle le promet. Après dîner, je cherche à lier conversation avec son mari, ce qui le met à l’aise. Il se plaint amèrement des manières de ce pays, et de la cruauté d’aliéner les affections d’une épouse. Il dit que les femmes d’ici sont plus corrompues d’esprit et de cœur qu’autrement. Pour des raisons générales, je me joins à ses regrets de cet abaissement de la morale qui rend les hommes peu aptes à un bon gouvernement. De là il conclut, et avec raison, à mon avis, que je ne contribuerai pas à le rendre malheureux.

M. Necker s’étant débarrassé de ceux qui l’environnent, me fait entrer dans son cabinet, et observe que j’ai stipulé de recevoir pour l’importation des 20,000 premières tonnes la prime que la Cour aurait décidé de donner aux autres farines. Je lui dis qu’il doit reconnaître avec moi la justice de cette stipulation, mais que je présume qu’il ne donnera pas de primes. Il répond qu’il y est opposé, mais tant de personnes y sont favorables qu’il sera peut-être obligé de s’y soumettre, car dans ce moment on se trouve souvent dans la nécessité de faire ce que l’on sait être mal. Il laisse de côté cette stipulation, et ajoute que je devrais être lié par un dédit de livrer les 20,000. Je lui dis avoir certainement l’intention de remplir mon engagement, mais que lui aussi devrait signer un dédit. Il propose 2,000 livres