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JOURNAL DE GOUVERNEUR MORRIS

votre bienveillance qui leur donne leur valeur ; et mon amour, pareil à la bonté qui brille dans vos yeux, s’enflamme davantage à chaque instant. »


30 décembre. — Je dîne aujourd’hui avec la duchesse d’Orléans. Je prends le thé avec Mme de Chastellux, puis vais chez Mme d’Houdetot. Son amant, M. de Saint-Lambert, est présent. Conversation intellectuelle et assez agréable, mais je ne pense pas revenir souvent. De tous les magasins de Cupidon, le moins précieux, à mon avis, est son cabinet des antiques. Je m’entretiens avec M. de Montmorin et je bavarde quelque peu avec les dames. Ayant remarqué des almanachs sur la cheminée, je prends mon crayon et j’adresse quelques lignes à Mme de Beaumont, sa fille.

« Clara, vous voyez ici comment les jours, les mois et les années se succèdent ; mais tandis que vous regardez, prenez garde ; nous vieillissons tous deux. Pendant ces jours qui viennent, oubliez le passé et n’attendez pas trop longtemps ; chaque heure non vouée à la joie, c’est autant de perdu. »

Elle en est enchantée plus qu’elle ne le montre, car la morale en est plutôt à pratiquer qu’à approuver. Je vais de là à une réunion chez Mme de Vannoise, dont le but, à ce que je vois, est d’entendre l’harmonica et de boire du punch. On me prie de préparer cette boisson, et afin que mes verres soient à l’unisson avec la musique de l’artiste, je la fais très forte. Mme de Laborde vient s’asseoir près de moi avec M. Bonnet. Je lui répète les vers que j’avais écrits pour Mme de Beaumont. Elle se récrie naturellement contre la liberté du sentiment, et M. Bonnet, qui doit servir d’arbitre mais qui ne peut comprendre l’anglais qu’à la lecture, bien qu’ayant traduit Tristram Shandy, me donne son crayon et une feuille de papier. Au lieu de copier ce que j’avais écrit, je lui adresse une démonstration de mon théorème :