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JOURNAL DE GOUVERNEUR MORRIS

Altesse royale, sur la personne qui vient de sortir, des observations donnant lieu de croire qu’un baiser ne dénote pas toujours une grande affection. En s’en allant, elle veut bien dire qu’elle est contente de m’avoir rencontré, et je la crois. Cela tient à ce que j’avais prononcé certaines expressions et certains jugements un peu tranchants ; ils lui ont plu par leur contraste avec les fades politesses qu’elle a l’habitude de recevoir partout. J’en conclus que moins j’aurai l’honneur d’être en aussi bonne compagnie, mieux cela vaudra, car avec l’attrait de la nouveauté tout disparaîtra. Et je serai probablement pire qu’ennuyeux. Tout le monde se plaint du temps, et, malgré tout, le temps ne s’améliore pas. Il ne pourrait être plus affreux, si nous le louions.


27 mars. — Le maréchal de Castries vient chez moi et m’emmène dîner chez M. et Mme Necker. Au salon, nous rencontrons Mme de Staël. Elle paraît être une femme de sens, mais tout en ayant quelque chose de masculin dans le caractère, elle a absolument l’air d’une femme de chambre. M. Necker entre un peu avant le dîner. Il a une tournure et des manières de comptoir, qui contrastent fortement avec ses vêtements de velours brodé. Son salut, sa manière de parler, etc., disent : « C’est moi l’homme ! » La moitié des personnes présentes sont des académiciens. Parmi eux se trouve la duchesse de Biron, née Lauzun. Je remarque que M. Necker paraît absorbé par des idées tristes. Je ne pense pas qu’il puisse rester au ministère une demi-heure après que la nation y aura réclamé son maintien. Il est accablé par le travail, et madame reçoit continuellement des mémoires de différents côtés, si bien qu’elle paraît aussi affairée que lui. J’ai beaucoup de peine à le croire réellement un grand homme. Je fais là un jugement téméraire, mais peut-on s’empêcher de former un jugement quelconque ? Je me tromperais aussi, s’il n’était pas un homme laborieux.