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Page:Journal de Gouverneur Morris.djvu/358

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APPENDICE.

vous remarquerez que ce nom est substitué à celui d’États généraux ; c’est absolument comme si une législature américaine se transformait en convention. On veut rédiger une constitution immédiatement, et je ne doute pas que l’on n’obtienne le consentement du roi. Les partisans des anciens usages ont réussi à faire assembler dans le voisinage d’importantes forces militaires, mais, si je ne m’abuse, elles seront bientôt dispersées. L’Assemblée nationale a déjà exprimé sa désapprobation ; les choses n’en resteront pas là, et tôt ou tard le roi devra les renvoyer. Je suis même porté à croire que cette mesure aidera à débarrasser le royaume des troupes étrangères, car ne pouvant pas compter sur les régiments français, on a choisi surtout les étrangers. L’objet probable de ceux qui sont au fond de l’affaire est d’arracher des ordres à la crainte de Sa Majesté, crainte que l’on excite sans cesse, si bien que le roi est constamment le jouet de l’appréhension. Mais l’affaire est beaucoup plus difficile et dangereuse qu’on ne la suppose. L’Assemblée a décidé que tous les impôts disparaîtront, lors de sa séparation, saut ceux qu’elle aura déterminés. Ceci lui assure une existence aussi longue qu’elle le voudra ; si on la disperse, la France refusera certainement de payer. Une armée restera toujours impuissante contre une entente générale ; tôt ou tard il faudra céder, et tout ce que le pouvoir pourra faire pour s’affirmer ne saurait avoir d’autre résultat que de l’affaiblir. Voilà donc l’état du pays ; je considère la crise comme passée sans qu’on s’en soit aperçu ; il en sortira certainement une constitution libre. Si l’on a le bon sens de donner à la noblesse, en tant que classe, une part de l’autorité nationale, cette constitution durera probablement ; autrement, elle dégénérera en une monarchie pure, ou deviendra une vaste république. Une démocratie a-t-elle des chances de vivre longtemps ? Je ne le pense pas ; je suis même sûr que non, à moins que le peuple entier ne change. Quel que soit d’ailleurs le résultat de la crise actuelle, il pourrait bien changer toute la carte politique de l’Europe. Mais ou vais-je donc ? »