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Page:Jouvet - Réflexions du comédien, 1938.djvu/37

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Antoine, à ma première direction à l’Odéon, et encore à ma deuxième direction, ça n’a jamais marché. Ne faites pas ça, elle a un sort. »

Et quand j’ai monté Tripes d’or, de Fernand Crommelynck, à un moment de ma carrière où les huissiers dans les couloirs du théâtre étaient bien aussi nombreux que les spectateurs dans la salle, Antoine, qui m’accueillait chez lui paternellement, s’inquiétant de mes difficultés, après m’avoir félicité et s’être réjouit que je monte une œuvre de Crommelynck, et après que je lui en eus raconté le sujet, changea de visage. L’espoir que je lisais dans ses yeux s’éteignit, je vis sa moue s’allonger, et d’un air dépité, il me fit, simplement : « Dommage ! » C’était une pièce sur l’argent ; jamais, au théâtre, on n’a gagné d’argent en en faisant le thème de la pièce.

Et, par contre, à quoi tient le succès des œuvres de Pirandello ? À ce que Pirandello touche directement et uniquement à ce que j’appellerai là magie dramatique, à ce qu’il a osé par un tour d’esprit peut-être sacrilège, reaimanter de vieilles formules et transmuer des valeurs dramatiques mises au rebut depuis longtemps. Cette reaimantation, cette transmutation emprunte aux mystères de l’art dramatique. Et les six personnages qui entrent en scène en quête d’auteur, par exemple, ne sont vivants que parce qu’ils ont dissocié ou divulgué le secret de l’intrigue au théâtre — j’allais dire qu’ils l’ont profané — car il y a dans tout le théâtre de Pirandello une sorte de violation des secrets et des formules