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Page:Jules Bois - Visions de l'Inde.djvu/103

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VISIONS DE L’INDE

Pendant ce temps, l’intrus s’est accroupi près de mon lit et il dénoue, avec des gestes lents et trop habiles, un mouchoir d’où sortent des papiers coloriés, des ivoires peints, des feuilles de mica transparentes, enluminées. Je l’examine avec curiosité. Il m’est sympathique. Son corps maigre a la souplesse des jongleurs. La paume de ses mains brunes qui me passent les peintures a des lignes étrangement blanches comme la paume des singes. Il sait juste assez d’anglais pour compter et exhiber sa pacotille. Il ne fait pas de boniment, mais il a une éloquence à lui, enveloppante, fascinatrice. Ses gestes magnétiques, rythmés et silencieusement harangueurs, ajoutent une plus-value à ces jolies bagatelles, les magnifient. Du mouchoir, d’abord, sortent des dieux, des chrisna bleus jouant de la flûte sous un arbre, tandis que Rada, amoureuse et aussi musicienne, glisse autour de la taille de son époux ses jaunes bras et mêle sur les trous musicaux ses doigts dociles aux doigts divins ; ou bien c’est Shiva allongé sur un lit de cobras dont les têtes gonflées l’ombragent. Peu à peu le mouchoir s’humanise, des visages de rajahs sourient ou grondent, des magiciens et des jongleurs se transforment en corbeaux, ou dansent miraculeusement sur des fils. Toute la vie humble de l’Indien serviteur se déroule : le porteur d’eau, le balayeur, celui qui tient le nar-