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Page:Jules Bois - Visions de l'Inde.djvu/192

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VISIONS DE L’INDE

m’était insupportable. J’allai sur la terrasse de bois devant ma chambre.

Jamais, même en Syrie, même en Égypte, je n’assistai au spectacle féerique d’une pareille nuit. Les mots n’ont plus de valeur pour décrire ces choses, cet enchantement. Une nappe d’argent traîne sur le lac ; le croissant lunaire se détache contre le ciel limpide, sans un nimbe, aussi net qu’une découpure de métal. Tout est si doux, si pur ! Il ne me semble plus possible qu’il existe près de ce lac délicieux, Nanda-Devi et Naina-Devi, petites ogresses de pierre à qui il faut le sang des chevreaux égorgés et l’haleine suprême des noyés. Un souffle généreux me pénètre, la brise qui descend des neiges éternelles et qui s’est apaisée dans ce val. Une lumière impalpable, diffuse, demeure suspendue, fine comme une poussière d’astres. Je n’entends plus ces cris déchirants ou railleurs — oiseaux de nuit et chacals — qui me gâtèrent les magnifiques soirées de Bénarès. Parfois seulement un chant frôle s’élève, une note si délicate qu’on ne sait si elle jaillit du gosier d’un oiseau ou de deux fleurs froissées. Oui, l’on dirait que c’est la lune elle-même qui chante !

Je marche avec précaution sur la terrasse légère, inquiet de troubler cette sérénité par le craquement à peine perceptible de mon pied nu. Pas une fumée