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Page:Jules Bois - Visions de l'Inde.djvu/85

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VISIONS DE L’INDE

païenne qui se résume en un panthéisme idéaliste.

C’est le mépris de la personnalité éphémère immolée à l’éternelle nature. Celle-ci ne laisse émerger quelques instants les êtres de son sein que pour les y noyer ensuite et créer, avec la mort, des vies nouvelles. Nous remontons non seulement le plus vieux des fleuves, mais aussi des époques antérieures à la nôtre par des milliers d’années. Nous entre pénétrons des âmes si distantes des nôtres qu’elles semblent appartenir à une autre humanité. Je suis las de mes dernières promenades à Calcutta. Je ne puis prendre une note. Mon cerveau et ma main obéiraient mal. J’ai été atteint par les fièvres, j’ai subi la torpeur du climat ; mais ainsi je descends au niveau de ces âmes, je fraternise avec cette Inde qui passe du délire à l’accablement. Et je sens que j’assiste à quelque chose d’inouï et de merveilleux. Dussé-je vivre un siècle, l’impression de cet après-midi me demeurera unique. J’ai touché dans ce premier après-midi de Bénarès le cœur grandiose et pourri de la vieille Inde.

Je sens, j’écoute, je respire la mort, la mort des dieux, la fin d’un peuple, plus formidables que la mort des hommes. Toujours des Ghats, toujours des ruines, toujours l’odeur intolérable et les moustiques. Tous ces temples qui chancellent, ce vieux Gange lui-même, le premier de tous les dieux, de-