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Page:Jules Bois - Visions de l'Inde.djvu/92

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VISIONS DE L’INDE

deux la forme du berceau », me dit le brahme qui m’accompagne. Il parle un peu le français, qu’il a appris tout seul, dans les livres, par une sorte de hantise de notre pays, où « les hommes, me dit-il, sont égaux et libres ». Il est vêtu d’étoffes si légères qu’on dirait de la buée ; son visage est maigre et translucide. Il méprise les prêtres, autour de nous, malpropres, matériels et avides de roupies, qui nous assiègent de flatteries basses et d’ironies ; en outre, je le soupçonne d’avoir peur des singes sacrés, à qui je jette des noix et des dragées.

« Les Dieux sont dans notre cœur », bégaie-t-il, tout en se cachant derrière moi. Il me fait pitié, falot, distrait, indécis, de langue liée comme les végétariens et les mystiques. C’est une bulle humaine, où le vieux soleil védique fait luire quelques pensées splendides, mais qu’un souffle disperserait sans en laisser rien…

Nous marchons pieds nus dans le temple. Toute l’Asie découvre ses pieds pour témoigner son respect. Je tâche de ne pas trop me contaminer sur ces dalles gluantes, où traînent des fleurs, de l’eau de rose et des excréments. Les singes me tendent la main en clignant leurs yeux chassieux et mobiles. Je descends des marches. Je pousse une porte, je suis devant l’étang sacré. Eau glauque perfide ; elle reflète, en ce moment, des voitures retentissantes