Page:Jules Simon - La liberte de conscience, 1872.djvu/401

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Mais supposons une victoire impossible ; accordons à nos sceptiques et à nos théologiens que la raison humaine est une lumière vacillante et trompeuse : les sceptiques pourront se réjouir des ruines qu’ils auront faites ; c’est leur état de détruire, c’est leur passion, c’est leur but ; mais que deviendront les théologiens ? À peine ont-ils mis la pensée humaine au néant, qu’ils s’adressent à elle pour lui inculquer leurs doctrines. « Voici, disent-ils, nos preuves. Voici ce que nous fournit l’analyse du cœur humain, ce que nous dit la société humaine, ce que nous trouvons dans l’histoire. Voici des axiomes que toute intelligence doit admettre, et la conclusion que nous voulons en tirer. » Eh quoi ! insensés que vous êtes, ressuscite-t-on les morts ? Passerez-vous la moitié de votre vie à détruire une force, et l’autre moitié à l’invoquer ? La raison est-elle capable, oui ou non, de former une opinion juste ? Si oui, laissez-la libre ; si non, abandonnez les hommes à leur instinct comme un troupeau de brutes. Mais vous n’êtes capables ni de croire à la force de l’humanité, ni de vous résigner à son néant !

Quand vous dites que l’intelligence humaine suffit à pourvoir aux besoins inférieurs, mais qu’elle est incapable de philosophie et qu’il lui faut une doctrine toute faite venue de plus haut, ne vous apercevez-vous pas que vous raisonnez dans votre propre hypothèse, et que vos raisonnements ne prouvent rien, à moins qu’on ne soit d’abord de votre avis ? Vous me proposez un maître, mais quel maître ? Comment puis-je le reconnaître ? À quel signe ? Si vous parlez de soumission volontaire et raisonnée, je ne m’en plains pas, je n’ai rien à dire, tout homme est maître de ses convictions. Tant que vous discutez avec moi pour faire de moi un adepte, me soumettant vos motifs, réfutant les miens, faisant appel à ma raison éclairée, vous êtes dans votre droit et vous respectez le mien : ce que vous faites n’est que du prosélytisme. J’honore le prosélytisme, je le respecte, je demande pour moi-même la liberté d’en-