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Page:Jules Simon - La liberte de conscience, 1872.djvu/418

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réveille un jour, et par une loi fatale, se porte d’un bond aux extrêmes. Pendant des siècles, tous les grands agitateurs sont sortis des cloîtres. L’hérésie, la nouveauté, si vous voulez, car c’est tout un, germait dans leur esprit pendant qu’ils chantaient machinalement des psaumes, ou qu’ils officiaient avec ce cérémonial inflexible qui dicte toutes les paroles, et règle jusqu’au moindre geste. Qui nous dira les angoisses d’un Abélard, d’un Wiclef, d’un Jean Huss, lorsqu’ils se séparaient tout frémissants de l’unité de l’Église, chassés hors de son sein par l’indomptable essor de leur pensée ? Luther alla jusqu’à envier le repos des morts : beati quia quiescunt ! Pour eux, les hérésiarques et les apôtres, ils ont échappé au cloître, à l’unité, à l’Église ; ils ont obéi au démon intérieur ; le feu qui les consumait s’est répandu sur le monde et l’a rempli d’embrasements. Mais que de martyrs obscurs, étouffés dans l’in pace ! Que d’âmes épuisées dans une lutte secrète ! Que d’hommes de génie qui n’ont pu vivre qu’en parvenant à s’abêtir ! Ceux qui rêvent de décréter l’unité par une loi, n’ont qu’à décréter aussi l’identité des intelligences.

Ce serait une réfutation écrasante de ces rêves, qu’une liste complète des hérésies, si aucun homme était capable de la faire. Impuissants pour empêcher les hérésies de naître, voulez-vous les rendre inoffensives ? Laissez-les libres. Il est consolant de penser que c’est plutôt la politique que la religion, qui a rendu la religion intolérante. La chimère du pouvoir absolu avait besoin pour s’étayer de la chimère de l’infaillibilité. Je le dis à l’honneur de l’Église et pour la défense de l’Église : quand elle se fit oppressive, quand elle invoqua le bras séculier contre la liberté de conscience, elle fut infidèle à son caractère et à sa mission. Elle servit les passions des hommes et cessa d’obéir à l’inspiration divine. À ce moment-là, elle oublia l’Évangile. Le jour où l’inquisition fut fondée, il fut vrai de dire que l’Évangile était trahi.