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Page:Kann - Journal d'un correspondant de guerre en Extrême-Orient.djvu/30

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grand édifice de plâtre et de bois construit provisoirement jusqu’au jour lointain où les ressources budgétaires permettront d’ajouter un numéro à l’affreuse collection des casernes en briques rouges. Les députés et les pairs arrivent un à un, cahotés dans leurs kouroumas ; ils portent tous un frac, une paire de lunettes et un chapeau haut de forme. Cet accoutrement ne leur est pas familier ; il leur donne un air gauche et artificiel qui évoque les théories de Darwin sur l’origine des espèces. Le peuple ne paraît pas les voir ; il est recueilli et anxieux, car le Mikado, que l’on aperçoit rarement en public, va bientôt se montrer à ses sujets.

On sait que l’empereur Moutsouhito se rattache par une lignée ininterrompue de souverains à la déesse qui détacha une parcelle du soleil pour mouler la terre que ses descendants ont gouvernée depuis. La vie anachorétique que les monarques du Nippon ont menée depuis plusieurs siècles n’a fait qu’augmenter l’atmosphère mystérieuse et sacrée qui les a toujours entourés : oser lever les yeux sur l’empereur était encore, dans les premières années du règne actuel, un crime puni de mort. Aujourd’hui, le Mikado a abandonné l’hermitage de Kyoto et son existence contemplative pour prendre en main les affaires de l’État ; il reçoit des étrangers à sa table,