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Page:Kant-Critique de la raison pratique, trad. Barni, 1848.djvu/280

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DES MOBILES DE LA RAISON PURE PRATIQUE


dérée dans sa destination), en même temps qu’elle nous fait remarquer combien notre conduite en est éloignée, et que par-là elle confond notre présomption, cette idée est naturelle même à la raison commune, qui la saisit aisément. Y a-t-il un homme, tant soit peu honnête, à qui il ne soit parfois arrivé de renoncer à un mensonge, d’ailleurs inoffensif, par lequel il pouvait se tirer lui-même d’un mauvais pas, ou rendre service à un ami cher et méritant, uniquement pour ne pas se rendre secrètement méprisable à ses propres yeux ? L’honnête homme, frappé par un grand malheur, qu’il aurait pu éviter, s’il avait voulu manquer à son devoir, n’est-il pas soutenu par la conscience d’avoir maintenu et respecté en sa personne la dignité humaine, de n’avoir point à rougir de lui-même et de pouvoir s’examiner sans crainte. Cette consolation n’est pas le bonheur sans doute, elle n’en est pas même la moindre partie. Nul en effet ne souhaiterait l’occasion de l’éprouver, et peut-être ne désirerait la vie à ces conditions ; mais il vit, et ne peut souffrir d’être à ses propres yeux indigne de la vie. Cette tranquillité intérieure n’est donc que négative, relativement à tout ce qui peut rendre la vie agréable ; car elle vient de la conscience que nous avons d’échapper au danger de perdre quelque chose de notre valeur personnelle, après avoir perdu tout le reste. Elle est l’effet d’un respect pour quelque chose de bien différent de la vie, et au prix duquel au contraire la vie, avec toutes ses jouissances, n’a aucune valeur. L’homme dont nous parlions ne vit plus que par devoir, car il est tout à fait dégoûté de la vie.