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Page:Kant-Critique de la raison pratique, trad. Barni, 1848.djvu/30

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DE LA MÉTAPHYSIQUE DES MŒURS

et, de plus, il y a certaines âmes si naturellement sympathiques, que, sans aucun motif de vanité ou d’intérêt, elles trouvent une satisfaction intérieure à répandre la joie autour d’elles, et jouissent du bonheur d’autrui, en tant qu’il est leur ouvrage. Mais je soutiens que dans ce cas l’action, si conforme au devoir, si aimable qu’elle soit, n’a pourtant aucune vraie valeur morale, et qu’elle va de pair avec les autres inclinations, par exemple avec l’ambition qui, lorsque, par bonheur, elle a pour objet une chose d’intérêt public, conforme au devoir, et, par conséquent, honorable, mérite des éloges et des encouragements, mais non pas notre respect car la maxime manque alors du caractère moral, qui veut qu’on agisse par devoir et non par inclination. Supposez maintenant qu’un de ces hommes bienfaisants soit accablé par un chagrin personnel, qui éteigne en son cœur toute compassion pour le malheur d’autrui, et qu’ayant toujours le pouvoir de soulager les malheureux, sans être touché par leur malheur, tout absorbé qu’il est par le sien, il s’arrache à cette morne insensibilité pour venir à leur secours, quoiqu’il n’y soit poussé par aucune inclination, mais parce que cela est un devoir, sa conduite alors a une véritable valeur morale. Je dis plus si le cœur d’un homme n’était naturellement doué que d’un faible degré de sympathie si cet homme (honnête d’ailleurs) était froid et indifférent aux souffrances d’autrui, par tempérament, et peut-être aussi parce que, sachant lui-même supporter ses propres maux avec courage et patience, il supposerait dans les autres ou exigerait d’eux la même force ; si enfin la