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Page:Kant - Critique du jugement, trad. Barni, tome premier.djvu/212

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CRITIQUE DU JUGEMENT ESTHÉTIQUE


sentiment pour le sublime de la nature sans y joindre une disposition d’esprit semblable à celle qui convient au sentiment moral. Le plaisir immédiatement lié au beau de la nature suppose et cultive également une certaine libéralité de pensée, c’est-à-dire une satisfaction indépendante de la pure jouissance des sens, mais ici c’est plutôt un jeu pour la liberté qu’une occupation sérieuse ; or, c’est là au contraire le caractère propre du sublime comme celui de la moralité humaine où la raison fait nécessairement violence à la sensibilité ; seulement dans le jugement esthétique sur le sublime, cette violence est exercée par l’imagination même comme par un instrument de la raison.

La satisfaction attachée au sublime de la nature est donc simplement négative (tandis que celle qui s’attache au beau est positive) ; c’est le sentiment de l’imagination se privant elle-même de sa liberté et agissant conformément à une autre loi que celle de son exercice empirique. Par là elle reçoit une extension et une puissance plus grandes que celles qu’elle sacrifie, mais le principe lui en est cachée, tandis qu’elle sent le sacrifice ou la privation et en même temps la cause à laquelle elle est soumise. L’étonnement, voisin de la terreur, le frissonnement, la sainte horreur qu’on éprouve en voyant des montagnes qui s’élèvent jusqu’au ciel, de profonds abîmes où les eaux se précipitent en