Page:Kant - Critique du jugement, trad. Barni, tome premier.djvu/285

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ont pensé, il ne suffit pas même de faire des découvertes dans l'art et dans la science, et d’être ce qu’on appelle une forte tête (par opposition à ces esprits qui ne savent qu’apprendre et imiter, et qu’on appelle des perroquets)[1] : c’est que ce qu’on trouve ainsi, on aurait pu l’apprendre, qu’on y arrive par des règles en suivant le chemin naturel de la spéculation et de la réflexion, et que cela ne se distingue pas spécifiquement de ce qu’on peut acquérir par l’étude et au moyen de l’imitation. Ainsi tout ce que Newton a exposé dans son immortel ouvrage des principes de la philosophie naturelle, quelque forte tête qu’il ait fallu pour trouver de telles choses, on peut l’apprendre ; mais on n’apprend pas à composer de beaux vers, si détaillés que soient les préceptes de la poésie, et si excellents qu’en soient les modèles. La raison en est que Newton pouvait, non-seulement pour lui-même, mais pour tout le monde, rendre pour ainsi dire visibles et marquer pour ses successeurs tous les pas qu’il eut à faire depuis les premiers éléments de la géométrie jusqu’à ses grandes et profondes découvertes, tandis qu’un Homère ou un Wieland ne peut montrer comment ses idées, si riches par l’imagi-

  1. Il y a dans le texte Pinsel, qui au propre signifie pinceau.
    L’équivalent que j’emploie, faute d’une expression plus littérale, traduit assez exactement l’idée que Kant veut exprimer ici par ce mot.
    J. B.