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Page:Kant - La religion dans les limites de la raison, trad Tremesaygues, 1913.djvu/105

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LA LUTTE DU BON PRINCIPE AVEC LE MAUVAIS

génie chargé de nous guider), comporte aussi la confiance à sa persistance et à sa fermeté, bien que ce ne soit que médiatement, et elle est le Consolateur (le Para-

    grande sévérité. ― Je veux encore ajouter deux remarques. L’apophtegme ordinaire : Tout est bien qui finit bien, peut s’appliquer sans doute à des cas moraux, mais seulement si l’on entend par la fin qu’on appelle bonne celle où l’homme devient véritablement un homme de bien. Mais à quoi veut-on reconnaître qu’on est devenu un homme de bien, puisque le seul moyen qu’on ait de le conclure est la bonne conduite subséquente sans défaillances, pour laquelle manque le temps, au terme de la vie ? C’est plutôt au bonheur qu’on peut appliquer ce proverbe, mais sous le rapport seulement du point de vue d’où l’homme considère sa vie, se plaçant non à ses débuts, mais à son dernier terme et reportant de là ses regards en arrière jusqu’à ses premières années. Les souffrances endurées ne laissent pas de souvenir pénible, dès qu’on se voit à l’abri dans le port, mais plutôt une bonne humeur qui ne rend que plus savoureuse la jouissance du bonheur atteint ; parce que plaisirs et peines (faisant partie de la sensibilité) sont contenus dans la série du temps, avec laquelle ils disparaissent, et qu’au lieu de former un tout avec la jouissance du moment, ils sont chassés par celle-ci qui leur succède. Appliquer ce proverbe au jugement de la valeur morale de la vie entière d’un homme, c’est risquer de la proclamer bien à tort morale, quoiqu’elle ait eu pour terme une conduite toute bonne. En effet, le principe moral subjectif de l’intention, d’après lequel on doit juger sa vie, est de telle nature (en tant qu’objet suprasensible) que son existence ne saurait être divisible en fractions de temps, et qu’elle ne peut être conçue que comme unité absolue ; et cette intention ne pouvant se conclure que des actes (envisagés comme ses phénomènes), on ne peut donc considérer la vie, pour en estimer la valeur, que comme unité dans le temps, en d’autres termes comme un Tout ; et alors il se peut que les reproches adressés à la première partie de la vie (antérieure à l’amélioration) crient aussi haut que l’approbation donnée à la dernière et nuisent grandement à l’effet triomphant du « Tout est bien, qui finit bien ». ― Enfin, avec cette doctrine de la durée des châtiments dans une autre monde, est apparentée une autre doctrine, qui ne lui est pas identique pour laquelle « il faut que tous les péchés soient remis ici-bas », que les comptes soient arrêtés définitivement au terme de la vie, sans que personne puisse avoir l’espoir de continuer là-haut à se libérer de ses arriérés d’ici-bas. Or cette théorie n’est pas plus fondée que la précédente à se présenter comme un dogme, mais elle est seulement un principe fondamental par lequel la raison pratique se prescrit la règle d’emploi du concept qu’elle a du suprasensible tout en avouant humblement sa totale ignorance de la nature objective de ce dernier. Autrement dit, elle signifie seulement que c’est uniquement de notre conduite passée que nous pouvons conclure si nous sommes, ou non, des hommes agréables à Dieu, et que, notre conduite finissant avec cette vie, notre compte aussi doit s’arrêter là, compte dont le bilan, à lui seul, montrera si nous pouvons ou non nous tenir pour justifiés. ― D’une manière

Kant. — Religion. 6