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Page:Kant - La religion dans les limites de la raison, trad Tremesaygues, 1913.djvu/117

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LA LUTTE DU BON PRINCIPE AVEC LE MAUVAIS

miers parents de tous les humains à se révolter contre leur Seigneur et en se les attachant ; et comme cette entreprise lui réussit, il arrive à se faire le suzerain de tous les biens de la terre, c’est-à-dire à s’ériger en prince de ce monde. On pourrait, sans doute, trouver étrange que Dieu n’ait pas fait usage de sa puissance contre ce traître[1] et qu’il ait mieux aimé anéantir, dès son commencement, le royaume qu’il s’était proposé de fonder ; mais la domination et le gouvernement de la sagesse suprême sur des êtres raisonnables se conforme au principe de la liberté de ces êtres, qui ont à s’imputer à eux-mêmes ce qui leur arrive de bien ou de mal. Sur cette terre donc, malgré le bon principe, fut établi un empire du mal, auquel se sont soumis tous les descendants (naturels) d’Adam, et cela, du reste, de leur plein gré, l’illusion des biens de ce monde détournant leurs regards de l’abîme de perdition qui leur est réservé. Certes, pour maintenir son droit à régner sur les hommes, le bon principe institua une forme de gouvernement uniquement fondé sur le respect public de son nom (ce fut la théocratie juive) ; mais comme les âmes ainsi gouvernées n’avaient d’autres mobiles que les biens temporels, et que, du reste, elles ne voulaient pas être gouvernées autrement que par des récompenses et des châtiments dans dans la vie présente, ce qui les rendait incapables d’accepter d’autres lois en dehors de celles qui, d’une part, imposaient des cérémonies et des pratiques gênantes, et, d’autre part, étaient des lois morales où, cependant, intervenait la contrainte extérieure et qui, pour ce motif, n’étaient rien que des lois civiles, où l’intention morale intime n’était point

  1. Le P. Charlevoix nous dit qu’un catéchumène iroquois auquel il dépeignait tout ce que le mauvais esprit a introduit de mal dans la création primitivement bonne et tous les efforts qu’il fait constamment pour rendre vaines les meilleures institutions divines, lui demanda non sans impatience : « Mais pourquoi Dieu ne tue-t-il pas le diable ? « et il nous avoue franchement qu’à cette question il ne put pas trouver sur-le-champ de réponse.