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Page:Kant - La religion dans les limites de la raison, trad Tremesaygues, 1913.djvu/181

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DE LA VICTOIRE DU BON PRINCIPE SUR LE MAUVAIS

cales, au lieu de maintenir les prêtres dans les strictes limites d’un corps purement enseignant (limites dont ils sont toujours disposés à sortir pour se transformer en corps dirigeant), comment, dis-je, cet État-là devait inévitablement devenir la proie d’ennemis extérieurs qui, en définitive, mirent fin à une croyance dominante ; comment, en Occident, où la foi a dressé son véritable trône, indépendant des pouvoirs temporels, un prétendu représentant de Dieu a ébranlé et rendu sans force l’ordre civil ainsi que les sciences (qui en sont le soutien) ; comment les deux parties de la chrétienté, ainsi que les plantes et les bêtes qui, malades et tout grès de leur dissolution, attirent des insectes rongeurs dont le rôle est de la parfaire, subirent l’invasion des barbares ; comment, en Occident, le chef spirituel gouverna les rois comme des enfants en les frappant avec la baguette magique de son excommunication toujours levée, les porta à des guerres lointaines (aux croisades) entre prises pour dépeupler une partie du monde, les excita à se combattre entre eux, souleva les sujets contre l’autorité des princes, et insuffla dans l’âme des fidèles la haine sanguinaire qu’ils ont montrée contre d’autres adeptes, pensant autrement qu’eux, d’un seul et même Christianisme proclamé universel ; comment ces dissensions que seul l’intérêt politique empêche, même de nos jours, d’éclater avec violence, ont leur source cachée dans le principe d’une foi ecclésiastique s’imposant despotiquement et laissent toujours craindre de semblables excès ; ― et cette histoire du Christianisme (qui, puisque son objet est une croyance historique, ne pouvait pas se trouver différente), vue d’en-semble, comme un tableau, pourrait justifier cette exclamation du poète :

Tantum religio potuit suadere malorum ! (Lucrèce.)

si l’institution du Christianisme ne faisait pas toujours assez clairement ressortir que son premier et son véritable objec-