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Page:Kant - La religion dans les limites de la raison, trad Tremesaygues, 1913.djvu/183

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DE LA VICTOIRE DU BON PRINCIPE SUR LE MAUVAIS

et sans une foi ecclésiastique ayant à sa base ce livre ; qu’étant donné en outre l’état actuel de l’esprit humain qui rend difficile à tout homme d’attendre une révélation nouvelle introduite par des miracles, − le plus raisonnable et le plus juste, c’est de nous en tenir à ce livre, puisqu’il est là, de le prendre pour base de l’enseignement ecclésiastique, de ne point en affaiblir la valeur par des attaques inutiles ou malignes, sans du reste imposer à personne la foi en ce livre comme condition dit salut. Le second principe consiste à vouloir que l’histoire sainte ― puisqu’elle n’a pas d’autre rôle que d’être utile à la foi chrétienne et que, par elle seule, elle ne peut ni ne doit exercer absolument aucune influence sur l’adoption de maximes morales, n’étant donnée à la foi ecclésiastique que pour servir à la représentation vivante de son véritable objet (la vertu aspirant à la sainteté) ― soit toujours enseignée et expliquée comme ayant pour but des visées morales et qu’à ce propos l’on insiste soigneusement et à plusieurs reprises (le commun des hommes ayant en eux un irrésistible penchant qui les porte à la foi passive)[1] sur cette idée que la vraie religion n’est pas de connaître ou de professer ce que Dieu fait ou a fait pour notre sanctification, mais d’accomplir ce que nous devons faire pour nous en rendre dignes ; et ce ne peut jamais être que quelque chose ayant en soi une valeur indubitable et absolue, pouvant seul, par suite, nous

  1. Une des causes de ce penchant réside dans le principe de sûreté qui me fait imputer les vices d’une religion dans laquelle je suis né, dans laquelle on m’a élevé, que l’on m’a enseignée sans consulter mon choix et à laquelle je n’ai rien changé par mon propre raisonnement, non à moi-même, mais à mes parents ou aux maîtres qu’ils ont chargés, eux ou l’état de mon éducation ; c’est une des raisons qui nous font difficilement accorder notre approbation au changement public de religion d’un homme ; il est vrai qu’à cette raison s’en ajoute encore une autre (bien plus profonde) en vertu de laquelle, étant donnée l’impossibilité, bien sentie de chacun de nous, de choisir avec certitude (parmi les croyances historiques) celle qui est la véritable, tandis que la foi morale est partout la même, on trouve qu’il n’est pas utile de se faire ainsi remarquer.