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Page:Kant - La religion dans les limites de la raison, trad Tremesaygues, 1913.djvu/189

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DE LA VICTOIRE DU BON PRINCIPE SUR LE MAUVAIS


Remarque générale


Dans toutes les croyances, quelle qu’en soit l’espèce, relatives à la religion, quand il veut étudier leur nature intrinsèque, l’esprit se heurte immanquablement au mystère, à quelque chose de saint que chacun, pris à part, peut sans doute connaître, mais non point publier (was zwar von jedem einzelnen gekannt, aber doch nicht öffentlich bekannt), c’est-à-dire qui n’est pas universellement communicable. — En tant que saint, le mystère doit être une

    de faire, la religion chrétienne et plus tard le mahométisme, surtout la première, le firent ; car toutes les deux présupposent la croyance juive et les livres saints qui en sont la base (bien que les Musulmans les prétendent falsifiés). Car chez les Chrétiens, issus de leur secte, les Juifs pouvaient constamment retrouver leurs anciens documents, s’il arrivait que leur aptitude à les lire et, par conséquent, le plaisir de les posséder eussent, pour plusieurs raisons, disparu au cours de leurs pérégrinations ; il leur suffisait de se souvenir qu’ils avaient autrefois eu de tels documents. Et cela nous explique pourquoi l’on ne trouve des Juifs que dans les pays chrétiens ou mahométans, si l’on excepte ceux qui, en tout petit nombre, vivent sur les côtes de Malabar et la société juive existant en Chine (et il se peut que ceux de Malabar aient eu avec leurs coreligionnaires d’Arabie des relations commerciales constantes) ; il n’est pas douteux, cependant, qu’ils n’aient dû se répandre à l’intérieur de ces riches pays, mais comme il n’y avait aucune parenté entre leur croyance et celles de ces pays, ils ont tout à fait oublié la leur. Quant à fonder des considérations édifiantes sur la conservation du peuple juif et de sa religion au milieu de circonstances si désavantageuses à l’un et à l’autre, c’est un procédé très scabreux parce que les deux partis croient chacun y trouver leur compte. Les uns voient dans la conservation du peuple auquel ils appartiennent et dans le fait que, malgré : sa dispersion au milieu de races si différentes, ce peuple a pu garder son ancienne foi sans mélange la preuve d’une providence bienveillante particulière qui réserve ce peuple pour régner un jour sur la terre (für ein künftiges Erdenreich) ; les autres y voient seulement des ruines qui nous informent qu’un État a été détruit parce qu’il s’opposait à l’avènement du règne céleste, et qu’une providence particulière prend soin de toujours conserver intactes soit pour mieux graver dans nos cœurs l’ancienne prophétie annonçant qu’un Messie doit naître de ce peuple, soit pour nous montrer un exemple de la juste punition appliquée par elle à un peuple qui s’obstina à se faire du Messie une conception politique, et ne voulut pas s’en faire un concept moral.]

    * Le texte de Kant porte « vor » a ce qui certainement est une inadvertance, comme l’a noté Vorlander. A. T.