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Page:Kant - La religion dans les limites de la raison, trad Tremesaygues, 1913.djvu/201

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DE LA VICTOIRE DU BON PRINCIPE SUR LE MAUVAIS

quer sous tant de personnalités (ce qui indiquerait une diversité d’essence, alors qu’il n’est jamais qu’un seul et même objet), tandis qu’on peut bien l’invoquer au nom de l’objet que lui-même honore et aime souverainement et avec lequel nous avons le désir comme le devoir de demeurer unis moralement. Au reste, il n’appartient qu’à la simple formule classique d’une foi ecclésiastique de pro-fesser spéculativement la foi en une nature divine sous cette triple qualité, pour distinguer cette croyance des autres variétés de croyances provenant de sources historiques, et fort peu d’hommes sont capables d’y lier un concept clair et déterminé (qui ne soit exposé à nul malen-

    en la première qualité (exerçant les fonctions d’arbitre) porte un jugement de choix entre deux personnes (ou deux partis) concourant pour avoir le prix (la béatitude) ; mais celui qui opère en la seconde qualité (exerçant les fonctions de juge véritable) prononce, concernant une seule et même personne, la sentence rendue devant un tribunal (la conscience) qui décide comme de droit entre l’accusateur et l’avocat.] Or, si l’on admet qu’il se peut, bien que tous les hommes, sans exception, soient sous la coupe du péché, que quelques-uns d’entre eux se voient reconnaître un mérite, il y a place alors pour la décision du juge par amour, faute de laquelle serait porté un jugement de refus que suivrait (l’homme tombant alors entre les mains du juge selon la justice) le jugement de condamnation, sa conséquence inévitable. — De cette façon, à mon sens, ces deux propositions, qui paraissent contradictoires : « Le Fils viendra juger les vivants et les morts », et : « Dieu ne l’a pas envoyé dans le monde pour qu’il le juge, mais pour que par lui nous soyons sauvés « (Évangile S. Jean III, 17) peuvent être conciliées et mises d’accord avec ce passage où il est dit : « Celui qui ne croit pas au Fils est déjà jugé » (v. 18), entendez jugé par l’Esprit dont l’Écriture nous apprend « qu’il jugera le monde d’après le péché et au nom de la justice ». Le soin scrupuleux que j’apporte à établir ces distinctions sur le terrain de la simple raison, car c’est vraiment pour elle que je les fais ici, pourrait aisément être pris pour une subtilité pénible et oiseuse ; et tel serait le cas si je les faisais en vue d’étudier ce qu’est la nature divine. Mais on sait que les hommes, en ce qui regarde leur religion, sont constamment enclins à se tourner vers la bonté divine en raison des fautes qu’ils ont commises, alors qu’ils ne sauraient éviter sa justice ; et comme il est contradictoire d’admettre en la même personne un juge bienveillant, il est aisé de voir que, même au point de vue pratique, leurs concepts là-dessus doivent être fort chancelants et bien peu concordants entre eux, et que, par suite, il est pratiquement d’une grande importance de les redresser et de les fixer d’une façon précise.

Kant. — Religion. 12