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Page:Kant - La religion dans les limites de la raison, trad Tremesaygues, 1913.djvu/230

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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON

dans le cas où elle agirait contre ces dernières[1] ; nous attribuons pourtant à cette attitude la valeur même de la fin ou, ce qui revient au même, nous accordons à l’état d’esprit qui nous rend capables d’éprouver à l’égard de Dieu des sentiments tout dévoués (état qu’on appelle la dévotion) la valeur de ces sentiments ; nous n’avons là, par suite, qu’une illusion religieuse, susceptible de revêtir toute espèce de formes plus ou moins capables l’une que l’autre de lui donner l’aspect moral ; mais sous toutes ces formes, au lieu d’une illusion simple et involontaire, nous trouvons la maxime de donner au moyen une valeur en soi afin qu’il tienne lieu de fin ; et pour cette raison, sous toutes ses formes, cette illusion offre la même absurdité et mérite qu’on la rejette comme une inclination secrètement trompeuse.


§2. — Le principe moral de la religion opposé à cette illusion religieuse.


Je pose d’abord ce principe qui pas besoin de démonstration : hormis une bonne conduite, tout ce que les hommes

  1. Pour ceux qui, dans tous les passages ou les distinctions entre le sensible et l’intellectuel ne leur sont pas assez familières, croient trouver des contradictions de la Critique de la Raison pure avec elle-même, je ferai remarquer ici chue partout où il est question de moyens sensibles au service d’une fin intellectuelle (de la pure intention morale) ou des obstacles mis à cette dernière par les premiers, il ne faut jamais concevoir comme étant directe cette influence de deux principes aussi hétérogènes. En effet, nous pouvons, en tant qu’êtres sensibles, jouer un rôle dans les manifestations du principe intellectuel, c’est-à-dire dans la détermination de nos forces physiques par le libre arbitre, détermination qui se traduit en actes ; nous pouvons agir pour ou contre la loi ; si bien que la cause et l’effet sont représentés comme étant homogènes en réalité. Mais pour ce qui est du suprasensible (du principe subjectif de la moralité en nous, qui se trouve enfermé dans la propriété incompréhensible de la liberté), par exemple, du pur sentiment religieux, en dehors de sa loi (ce qui est déjà suffisant, nous n’en connaissons rien qui ait trait au rapport de cause et d’effet dans les hommes, ou, autrement dit, nous ne nous pouvons pas nous expliquer la possibilité de regarder comme imputables aux hommes leurs actes, phénomènes de ce monde sensible qui