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Page:Kant - La religion dans les limites de la raison, trad Tremesaygues, 1913.djvu/248

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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON

les hommes meilleurs, à savoir l’intention morale, du fait qu’à cette intention (qui est une aspiration vers le bien, et même vers la sainteté), elle promet et elle garantit la possession de cette fin dernière, que seule elle ne pourrait pas atteindre. L’idée de vertu, au contraire, est puisée dans l’âme de l’homme. Nous l’avons tout entière en nous, sous une forme enveloppée, sans doute, mais sans avoir besoin, comme pour l’idée de religion, d’y arriver par raisonnements déductifs. Dans la pureté d’une telle idée, dans la conscience éveillée en nous d’un pouvoir, que, sans elle, nous n’aurions jamais soupçonné et qui nous rend capables de surmonter en nous les plus grands obstacles, dans la dignité de l’humanité que doit respecter l’homme en sa propre personne et dans la destinée qu’il s’efforce de lui gagner, il y a quelque chose qui élève l’âme si haut et la conduit si bien vers la divinité, qui n’est digne d’adoration qu’en raison de sa sainteté et de sa qualité de législatrice de la vertu, que, même quand il est très éloigné encore d’accorder à cette idée-là la force d’influer sur ses maximes, l’homme aime toutefois à s’en entretenir, parce qu’il se sent lui-même ennobli, jusqu’à un certain point, par cette seule idée, alors que le concept d’un Maître universel qui fait de ce devoir un commandement pour les hommes est plus éloigné encore de nous, si bien qu’à commencer par lui, nous courrions le risque de voir tomber notre courage (partie essentielle de la vertu) et de transformer la piété en une soumission bassement servile et flatteuse vis-à-vis d’un pouvoir à commandements despotiques. Ce courage, requis pour marcher tout seul, est fortifié postérieurement par la doctrine de la réconciliation, attendu que cette doctrine nous présente comme aboli ce qui ne peut être changé et ouvre devant nous le sentier d’une vie nouvelle, au lieu qu’en partant de cette doctrine l’homme se voit privé de tout courage[1] par l’effort inutile à rendre le passé non

  1. Les différentes croyances des peuples leur donnent aussi, insen-