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Page:Kant - La religion dans les limites de la raison, trad Tremesaygues, 1913.djvu/26

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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON


le devoir, ni pour exciter l’homme à l’accomplir : elle peut même et elle doit, quand il est question du devoir, faire abstraction de toutes fins. Ainsi pour savoir, par exemple, si, quand on me cite en justice, je dois témoigner véridiquement, ou si je dois (ou même si je peux), quand on me réclame le bien d’autrui qui m’a été confié en dépôt, me comporter loyalement, point n’est besoin que je de-mande, outre ma déclaration, une fin que je pourrais me proposer de réaliser, car peu importe cette fin ; par le seul fait qu’il trouve nécessaire de chercher une fin, quand légitimement on lui demande des aveux, l’homme est déjà un misérable.

Mais, bien que la morale n’ait pas besoin de s’appuyer sur une représentation de fin qui précède la détermination de la volonté, il peut se faire cependant qu’elle ait un rapport nécessaire avec une fin de ce genre considérée non comme le principe, mais comme la conséquence nécessaire des maximes adoptées conformément aux lois. -- Faute d’un rapport analogue, il n’y aurait pas, en effet, pour

    comme principe de détermination relativement au devoir, avouent cependant dans ce cas que le principe du devoir ne peut pas se trouver dans l’amour de soi ayant pour objet le bien-être individuel. Mais alors il ne reste que deux principes de détermination, l’un rationnel, c’est la perfection personnelle, l’autre empirique, à savoir, le bonheur d’autrui. Or, si la perfection que ceux-là ont en vue n’est pas déjà la perfection morale, qui jamais ne peut être que d’une seule espèce (soumission inconditionnelle de la volonté à la loi), - et ils commettraient un cercle vicieux en ayant en vue cette perfection, - ils devraient par ce mot entendre la perfection physique humaine susceptible d’augmentation et pouvant admettre beaucoup d’espèces (habileté dans les arts et dans les sciences ; goût, souplesse du corps, etc.). Mais ces qualités ne sont jamais bonnes que d’une manière conditionnée, c’est-à-dire à la condition que l’usage qu’on en fera ne soit pas contraire à la loi morale (qui seule commande inconditionnellement) ; donc, cette perfection, dont on fait une fin, ne peut pas être le principe des concepts de devoir. On peut en dire autant de la fin qui a pour objet le bonheur des autres hommes. Car une action doit tout d’abord être jugée en elle-même, d’après la loi morale, avant que le bonheur d’autrui lui soit donné pour terme. La réalisation (Beförderung) du bonheur des autres n’est donc que conditionnellement un devoir et ne saurait servir de principe suprême aux maximes morales.