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Page:Kant - La religion dans les limites de la raison, trad Tremesaygues, 1913.djvu/265

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DU VRAI CULTE ET DU FAUX CULTE

de converser en lui-même et avec lui-même, en supposant que, de cette manière, il s’entretiendra avec Dieu bien plus intelligiblement) ; c’est, au contraire, en nous efforçant d’épurer continuellement et d’élever notre intention morale, que nous devons chercher à vivifier en nous cet esprit seul de la prière [et d’une façon suffisante] pour que nous puis-

    portunité agaçante de nos prières, d’amener, s’il se peut, Dieu à se départir (pour notre avantage actuel) du plan tracé par sa sagesse. Il ne nous est donc point possible, si son objet n’est point moral, de compter avec certitude voir notre prière exaucée, c’est-à-dire de demander avec foi quoi que ce soit. Je vais plus loin : son objet serait-il moral, si cependant il n’est possible que par influence surnaturelle (ou si, du moins, nous nous bornons à l’attendre de cette source parce que nous ne voulons pas nous efforcer nous-mêmes de l’atteindre : ce serait le cas, par exemple, de la conversion qui consiste à revêtir l’homme nouveau et qu’on nomme une renaissance), il est alors tellement peu sûr que Dieu trouve conforme à sa sagesse de suppléer par voie surnaturelle à notre imperfection (dont nous sommes seuls responsables) que l’on a plutôt des motifs de s’attendre à tout le contraire. L’homme donc, même dans ce cas, ne peut pas prier avec foi. ― On peut conséquemment expliquer ce qu’on peut entendre par une foi qui accomplirait des miracles (et qui serait toujours inséparable de la prière intérieure). Dieu ne pouvant pas concéder à l’homme la puissance d’agir surnaturellement (parce que c’est là une contradiction), et l’homme étant incapable de son côté, étant donné les concepts qu’il se fait des bonnes fins possibles dans le monde, de déterminer d’après eux le jugement que porte sur de pareilles fins la sagesse divine et : par conséquent aussi, d’employer en vue de ses desseins la puissance divine, au moyen d’un souhait produit en lui et par lui-même ; le don des miracles dès lors, je veux dire celui qu’il dépend de l’homme d’avoir ou non (« Si vous aviez la foi comme un grain de moutarde », etc.), est inconcevable, pris à la lettre. Pour que cette foi ait un sens, il faut donc entendre par elle la simple idée de la décisive prépondérance de la qualité morale de l’homme — à condition qu’il la possède dans la perfection entière agréable à Dieu — sur les autres motifs que, dans sa sagesse suprême, Dieu pourrait avoir pour agir ; c’est-à-dire que, grâce à elle, nous pouvons avoir confiance que, si nous étions un jour, ou nous devenions, absolument ce que nous devons être et que nous pourrions devenir (dans une approximation toujours progressive), la Nature devrait plier à nos désirs qui, eux-mêmes, alors ne seraient jamais insensés.

    Pour ce qui est de l’édification, à quoi vise surtout la prière à l’église, il faut reconnaître que si les prières publiques ne sont pas non plus un moyen de grâce, elles sont cependant une cérémonie morale, tant par l’union de toute l’assistance dans le chant de l’hymne de foi que par les oraisons (Anrede) officiellement adressées à Dieu par la bouche de son ministre au nom de toute la communauté et compre-

Kant. — Religion. ii