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Page:Kant - La religion dans les limites de la raison, trad Tremesaygues, 1913.djvu/28

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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON


rale et n’en est pas le fondement ; le fait de se donner une fin de ce genre présuppose déjà des principes moraux. Ce ne peut pas être, par conséquent, chose indifférente pour la morale que de se faire ou non le concept d’une fin dernière de toutes choses (l’accord de la morale avec un tel concept n’augmente pas le nombre des devoirs, tout en leur procurant un point particulier où toutes les fins convergent et s’unissent) ; car c’est là l’unique moyen de donner à la connexion pour nous indispensable de la finalité par liberté et de la finalité naturelle une réalité objectivement pratique. Supposez un homme plein de respect pour la loi morale, à qui l’idée vient de se demander (ce qui est presque inévitable) quel monde il créerait sous la direction de la loi morale, s’il en avait la faculté et s’il devait lui-même en faire partie comme membre ; non seulement il le choisirait exactement tel, si seulement on lui laissait le choix, que l’exige l’idée morale du souverain bien, mais il voudrait même qu’un monde, n’importe lequel, existât, parce que la loi morale réclame que soit réalisé le plus grand bien dont nous sommes capables ; et il le voudrait, malgré le danger où il se verrait exposé, d’après cette idée elle-même, d’y perdre beaucoup personnellement en félicité, parce qu’il pourra peut-être n’être pas adéquat aux conditions requises pour le bonheur ; il se sentirait de la sorte contraint par sa raison de prendre cette décision d’une manière tout à fait impartiale et de faire sien, peut-on dire, le jugement que porterait un étranger ; et cela montre bien. l’origine morale de ce besoin qu’a l’homme de concevoir, outre ses devoirs et pour eux, une fin dernière qui en soit la conséquence.

La morale conduit donc nécessairement à la religion et s’élève ainsi à l’idée d’un législateur moral tout-puissant, en dehors de l’humanité (1)[1], et dans la volonté duquel réside

  1. Si la proposition qu’il y a un Dieu, que par suite il y a un sou-