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Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T2.djvu/152

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étranges, bons à être mis au rancart. Quoique certaines pages, chez elle, sentent bien leur bon vieux temps, il y a, du moins, dans chacune de ses œuvres, une parcelle de la vérité éternelle, impérissable, on y respire cet air frais des montagnes, qui ne souffle qu’aux sommets de la poésie. La lecture de ses œuvres fait vibrer ce qu’il y a de meilleur en nous, fait surgir du fond de notre âme des forces inconnues, évoque des aspirations endormies, ouvre à nos regards des horizons lumineux ; ce grand esprit rappelle à la vie les parcelles minuscules, souvent vagues et imperceptibles, de l’âme universelle qui réside en chacun de nous. Tout cela prouve que George Sand n’est pas seulement écrivain, elle est poète, quoique écriant en prose. Cette forme empêche beaucoup de ses lecteurs de bien apprécier certaines de ses œuvres si belles. Tel est Aldo. Imaginons-nous Aldo écrit en vers ; immédiatement disparaîtront toutes « les longueurs », toutes les « interminables effusions lyriques » que lui reprochent certains amis du réalisme. Dans ce poème, nous voyons une grande âme souffrante qui parle, une âme tourmentée par le doute et la désillusion. Sans doute l’action n’a ni temps, ni lieu déterminés ; la reine Agandecca règne on ne sait vraiment où, en Angleterre ou à Venise ; Tickle semble s’être échappé d’un drame de Shakespeare ou de Victor Hugo, mais… définissez-moi donc avec exactitude à quelle époque Manfred se trouvait près de la cascade et s’entretenait avec la Fée des Alpes ! Dites-moi, encore, si en apprenant que le spectre du père d’Hamlet lui apparaît précisément sur la terrasse du château d’Elseneur, l’on ajoute ou l’on n’ôte rien à l’histoire toujours la même des souffrances d’une âme minée par le doute. Et n’est-il pas indifférent que le Démon (de Lermontow) plane au-dessus des sommets du