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Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T2.djvu/183

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supplie de lui venir en aide, d’être son guide et son directeur et elle ajoute : « Mais mon Dieu, que faire de notre force ? où la mettre ? Quel emploi avez-vous trouvé à la vôtre ? Dites donc, dites donc vite ! Vous n’êtes pas de ceux qui peuvent répondre : « Moi, je n’en ai pas ; je n’ai pas envie de courir, parce que je n’ai pas de pieds. » Vous avez mis quelque part, dans quelque tabernacle sacré, dans quelque astre mystérieux, votre jeunesse, vos douleurs. « Est-ce donc de nouveau dans cette religion chrétienne ? Mais comment faire pour entrer dans ce temple ? Chaque fois que je passe devant la porte, je m’agenouille devant cette divine poésie, vue de loin ; mais si j’approche je n’y vois plus ce que je croyais être là exclusivement. Je voudrais trouver mon Dieu tout entier dans sa majesté et dans sa gloire et me prosterner, et n’avoir pas d’autres êtres de mon espèce autour de moi pour me dire : « C’est lui », car alors j’en douterais.

« Ah ! que vous êtes heureux ! quel crime ai-je commis pour être condamnée au rôle du Juif-Errant ? Vous dites que vous souffrez et que vous savez souffrir. Eh ! je le sais aussi bien que vous ! Je parie même que vos douleurs me sembleraient bien plus légères qu’à vous, si j’avais ce que vous avez pour vous en consoler, si je pouvais me recueillir une fois, un seul instant par jour et dire, en adorant quelque chose : « Voilà ce dont je ne peux pas douter…… » Tenez, il me vient souvent dans l’idée (et c’est une espèce de consolation que je me permets), que la cause pour laquelle les âmes passionnées subissent leur martyre est une noble et sainte cause. Aimer, c’est de tout ce que nous connaissons, ce qu’il y a encore de plus large et de plus ennoblissant. C’est là qu’on trouve encore la volonté et le pouvoir de se sacrifier !… »