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Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T2.djvu/284

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Déjà la Préface nous peint les idées tristement résignées du pauvre docteur :

« Oui, mon cher et gracieux docteur, faire un journal, c’est renoncer à l’avenir, c’est vivre dans le présent, c’est avouer à l’implacable qu’on n’attend plus rien de lui, qu’on s’accommode de chaque jour, qu’il n’y a plus de relation entre ce jour-là et les autres. C’est boire son océan, goutte à goutte, par crainte de le traverser à la nage, c’est compter les feuilles de l’arbre dont le tronc ne reverdira plus.

« On ne fait un journal que quand les passions sont éteintes, ou qu’elles sont arrivées à l’état de pétrification qui permet de les explorer comme des montagnes d’où l’avalanche ne se détachera plus. Ce travail constate un état de solidité effrayante et que je ne souhaite à personne, sinon à ceux qui étaient en pleine éruption et qui n’auraient pu rien garder de leurs feux, s’ils ne s’étaient arrêtés tout à coup au milieu de leur vomissement. »

Le docteur a l’habitude d’écrire son journal en se levant et en se couchant, ses toutes premières impressions de la journée et ses dernières pensées de la soirée, et dès les premières pages, nous nous trouvons en plein pessimisme : « Réveil lourd… Le temps n’est ni à la gaieté, ni à la tristesse. Il est au mécontentement. Un vent inégal et fantasque secoue les arbres. Le soleil est voilé. Il fait chaud si on met la robe de chambre, il fait froid si on l’ôte. Jour terne où je ne ferai rien de bon. Cerveau fâché et fatigué sans avoir produit. Je viens d’avaler du thé pour en finir plus vite avec cette disposition apathique en la portant à son paroxysme. Je n’ai pas reçu de lettre d’Everard. Il boude ! Heureux homme qui estime quelque chose digne de sa rancune ! »